Patrick Berger architecte, Paris

Monument de la communication France-Japon ; projet

Le monument de la communication France-Japon, Awaji, Japon

Le Temps de la communication : l’homme inscrit par la technologie tous les temps rythmant la vie de la planète et dont les signaux convergeraient vers la Table pour faire l’objet d’une visualisation exclusivement poétique.

Temps origine : dans ce projet, il s’agit de représenter le temps dégagé de ses formes culturelles nationales. C’est, par nature, le temps de la communication, indépendant de ses messages particuliers.

Granite : le granite de la Bretagne est le plus ancien de la plaque euro-asiatique, deux milliards d’années. Il manifeste la simultanéité de la durée géologique entre les deux bords de la plaque tectonique : 150 millions d’années du coté japonais.

Minéral : opposé au métal de la Table ; référence discrète aux formes préhistoriques du monde.

Voyage : le transport de la ligne de granit n’est pas un acte technique, il est la première forme de représentation du temps par le monument et doit être compris comme une première « écriture » du temps dans la structure. Le temps de ce voyage est un acte artistique unique et éphémère.

Monument : la Table n’est pas seulement un monument à la communication mais un dispositif de communication.
Le Monument conçu sans contrainte d’usage, il ne représente que lui-même ; il est donc, par essence, communication.

Échelle : dans le projet, elle est fixée selon deux critères ; le premier est celui de la longueur de la table qui est égale à la hauteur de son niveau par rapport à la mer. Ces deux éléments naturels se trouvant ainsi associés dans le tracé.
Le second tient à ce que le niveau de la table ne dépasse pas la hauteur du point géographique le plus élevé à proximité du monument.

Monument durable d’un acte fondateur : ne représentant que le temps, le monument se repère par le moment-origine de son installation.

Monumentaliser : la Table, horizontale, doit être de dimensions importantes pour être comprise comme une porte, un seuil.

Table « d’écriture » : fonction poétique du monument, le projet est d’y inscrire par les moyens technologiques présents et à venir des représentations visibles, des « écritures » du temps.

Typologie des temps
 : l’insertion technologique de la représentation de tous les temps caractéristiques de la planète pour faire apparaître les différences de rythmes, leurs corrélations, etc., et révéler leurs échelles.

La Table : la structure de la table est faite de seize poutres en bois unies par une coulée de bronze qui les enserre en un seul et unique bloc de métal faisant du bois le secret du métal. Dans l’excavation nécessaire à la coulée est inscrite la ligne de granit. L’ensemble est ensuite partiellement recouvert d’eau vive formant un bassin aux dimensions rectangulaires exactes de la table.

La ligne de granit : si elle est le signe premier et fondateur de la Table, elle en est le seuil merveilleux : située à la verticale du monument elle en matérialise l’axe longitudinal. La possibilité de se déplacer le long d’elle privilégie un paysage qui est celui du soleil levant. Point de vue perpendiculaire au Tropique, qui magnifie le temps solaire.

Horizontalité : le choix de l’horizontalité contre la verticalité tient au parti esthétique de mettre en scène toute la construction du monument comme signification première. La ligne de granit et son extraction sont l’expression plastique de cette première horizontale qui mystifie toutes les étapes de la construction du monument. Ensuite, elle est détermine l’élévation et la position finale dans le paysage d’Awaji, sans en dépasser le point le plus haut. L’horizontale exprime ainsi l’harmonie avec le site et le désir de ne pas le soumettre à sa monumentalité.

Élévation de la table : elle se fait en plusieurs temps par des grues, ce qui permet d’ériger simultanément les piles de verre sur lesquelles elle va reposer. Pour marquer formellement et symboliquement cette élévation, la Table comporte une réserve, un creux central, à la verticale de la ligne de granit. Cette superposition exprime l’origine temporelle et géographique.

Eau vive : la présence d’une eau vive sous le monument et dans l’empreinte laissée par la coulée de bronze évoque, pour le spectateur, l’universalité des éléments ; bois, métal, feu forment dans la construction un cycle interrompu et clos par l’eau.

Inaccessible : la Table est inaccessible, de manière à rester la surface sensible sur laquelle s’inscrivent ou transitent tous les signes virtuels ou matériels représentant les temps de la planète. Il s’agit, dans l’espace du monument, de fixer les limites du profane et de suggérer, sans le définir, le principe du sacré.

Images : la Table est une mémoire à partir de laquelle sont émises les images du temps de la planète et leurs géographies. Le monument étant une structure inaccessible, les images des temps ne sont visibles que sur les écrans dispersés dans les huit jardins autour de la table.

Sites Inouïs : l’idée d’exploration de la Terre, comme le premier pas sur la lune, est le concept de définition de ces sites inouïs. On peut les signifier comme inexplorés au sens économique et touristique contemporain. Formellement, ils doivent présenter des caractères visuels qui suscitent chez le spectateur, de leurs images, un désir de contemplation. Métaphores du silence, ils expriment la nature même de la communication. Ils sont visualisés de deux manières : par des caméras automatiques qui, selon divers mouvements, produisent des séquences descriptives, rythmés par divers plans et par des vues de satellites qui apportent un second point de vue. La diffusion simultanée de ces deux types d’images se fait sur les écrans des jardins d’images.

Invisible : une esthétique du point de vue, inspiré du jardin de Ryoanji. De tous les sites inouïs dispersés sur le Tropique, deux ne sont pas visibles dans les jardins d’images : la Bretagne et Awaji.

Tropique poétique : il est tracé selon une direction nord-sud en reliant la Bretagne à l’île d’Awaji. Le sens su tracé est choisi pour rappeler des paysages marins et continentaux divers qui représentent géographiquement les transitions typiques de l’Equateur aux Pôles. Sables, rochers, eau, etc., tous les éléments sont ainsi recherchés dans leurs différents états.

Satellite : la réflexion sur la conception du tropique poétique et l’implantation des sites inouïs est faite selon le modèle de fonctionnement du satellite français Spot qui, par un déplacement spiroïdal autour de la Terre, la décrit complètement sur une période vingt-six jours. Il est donc certain que, quelle sur soit l’implantation des sites inouïs, ils seront toujours repérés et visualisés par le satellite ainsi que tous les signaux qui pourraient en être issus.

Jardins d’images : les jardins d’images sont disposés autour de la Table dans le parc d’Awaji. Ils comportent des écrans et des jardins. Ces jardins sont au nombre de huit comme la colline des huit tatamis sur l’île d’Awaji. C’est l’association entre l’écran et le jardin particulier, les deux représentant le site lointain fixé sur le Tropique, qui constitue le "Jardin d’Images". Ces jardins peuvent être thématiques et représenter des états typiques de la matière, du mouvement, etc., mais aussi représenter des concepts de la communication humaine : parole, écriture, etc.
Ces jardins d’images structurent le parc autour de la Table.

Caméras : sur les sites inouïs et, par nature, jamais traversés par l’homme pour des raisons économiques et touristiques, sont implantées des caméras automatiques, véritables sondes spatiales, programmées pour opérer des prises de vues séquentielles retransmises sur les écrans des jardins d’images.

Simultanéité : des images prises par le satellite et des images prises par les caméras sur les écrans des jardins d’images. Le regard du spectateur est ainsi requis par la poésie de la confrontation entre des lointains horizontaux et des hauteurs verticales.

Contemplation : les sites inouïs doivent être représentés par des images qui suscitent la contemplation.

Spectacle d’une origine : pour la première fois, toutes les opérations de construction d’un monument sont mises en scène pour lui donner sa signification.

Aurore artificielle : se lève sur la Table, au Japon, lorsque l’aurore naturelle apparaît en Bretagne sur le lieu d’extraction des blocs de granit et du jardin japonais.

Point de vue sur la planète, d’un point du globe : l’enjeu esthétique est celui du renversement du regard perspectif de la Renaissance.

Métamorphoses : changement de signification des matériaux utilisés dans le projet au fur et à mesure de la construction : leur symbolisme final est celui des cinq éléments (bois, métal, eau, terre, feu).

La Communication satellite : le type d’image premier, dans ce monument de la communication, est celui de la Terre vue d’un satellite transmettant les sites inouïs, selon un déplacement et des croisements qui suivent le tropique poétique.

Mémoire : la table comporte tous les dispositifs nécessaires à l’enregistrements des messages et à la visualisation des temps naturels et artificiels.

Gratuité : concept esthétique qui oppose la forme à un usage particulier. Le projet de la Table se définit en dehors de cette opposition parce qu’il est le signe de la communication.
Par statut, le monument appartient à toutes les catégories artistiques et, par fonctionnement, aux technologies de l’information sociale et économique. Il est la symbolisation monumentale des deux.

Convergence : la Table est le dispositif de représentation de deux temps de référence dont les signes convergent sur elle : le temps de la communication représenté par les images des sites inouïs et le temps tectonique représenté par la ligne de granit.

Divergence : la Table contient un dispositif qui en fait un lieu d’émission. D’elle seraient envoyées toutes les visualisation de la Terre et de ses rythmes temporels de manière à réaliser le Grand Atlas du temps.

Durable : un monument est toujours souhaité durable ; la Table, définie par son origine temporelle, est l’image d’une durée de vie sans restaurations, étant en cela aussi continue et arbitraire que la communication.

Utopie : recherche des limites d’une écriture monumentale ; c’est la philosophie de ce projet…

Blanc : communication d’un message de silence

Voir les crédits

Programme : Conception et réalisation d’un monument pour la communication entre le France et le Japon

Maître d’ouvrage : Comité japonais pour le monument de l’amitié France-Japon

Situation : Au nord de l’île d’Awaji, baie d’Osaka, Kobe

Projet : Patrick Berger architecte
Collab. : JP Nouhaud

Date : Concours international 1987

Images, dessins : © Atelier Patrick Berger
© Franck Neau

Conception image : © Jean-Yves Cousseau avec la participation de Spot Image, de l’agence Magnum, du CNBDI, et de l’EAB de Lyon

Croquis : © Patrick Berger

Photographies : © Philippe Dureuil

Textes : © Patrick Berger et Jean-Pierre Nouhaud